Regarder une photographie d’Anne Solange Gaulier, c’est plonger dans des morceaux de vie, des instants arrêtés, des bouts de monde, qui nous font témoins d’une histoire qui possiblement se déroule.
L’artiste promène son objectif tout près et à travers le monde et repère pour nous des indices qu’elle propose à notre imagination ; par des détails qui paraissent infimes, elle nous amène au seuil de la narration, qu’elle nous laisse libres de franchir ou non. Ici en France à Capbreton, c’est un petit point coloré, foulard accroché à la clôture, quand la dune avec ses herbes couchées voudrait guider notre regard pour le perdre au loin.
Ailleurs à Jaisalmer en Inde, c’est une paire de chaussures soigneusement placée dans le coin du mur au fond de l’image, quand la fenêtre aux volets verts fermés aimerait s’imposer comme centre de la scène. Ces éléments iconographiques sont discrètement placés là pour nous dévier un temps du plan plus large de l’image, mais les photographies d’Anne Solange Gaulier sont aussi des oeuvres aux compositions maîtrisées dans la surface que donne à voir l’espace du cadrage. Tour à tour, elles nous font suivre une ligne contemplative, décrivent des étendues qui conduisent à des ciels turbulents ou purs ou dessinent frontalement des ordonnancements graphiques. Comment ne pas penser au Moine au bord de la mer de Caspar David Friedrich devant En écoutant le vent – je m’exerce au paradis…, ou évoquer Mondrian face à Je quitte le temple – je prends ma barque… Références conscientes ou inconscientes, on perçoit la connivence entre la photographe et la peinture.
En filigrane, dans ses compositions, à travers ses séries et les genres abordés, au quotidien ou au cours de voyages, l’artiste Anne Solange Gaulier tisse une narration où la biographie se mêle à l’imaginaire. Sans chercher à expliquer, la photographe préfère laisser le spectateur libre de se représenter, d’interpréter, ou tout simplement, de ressentir… jusqu’à l’impalpable, l’air, l’atmosphère, la vie.
Anne Guillotel, avril 2019.